Poèmes

/ Combien /
Combien de chagrin un cœur peut-il contenir ?
Combien d’enfer un corps peut-il supporter ?
Je n’ai plus de larmes à pleurer et pourtant
Elles ne cessent de couler
Hier avec ton sourire,
Tu m’as offert des pagaies…
/ Je voudrais /
Je voudrais embrasser, tendrement, les tourments de mon âme
Les balbutiements, les hoquets, les petites notes hésitantes
De mes chants qui ont de la peine à naître
Et délasser négligemment le corset qui m’étouffe:
Jamais assez, 
Assez bien, suffisamment, comme il faudrait, comme je devrais…

Qu’au fonds du fonds de l’océan se dissolve l’insupportable,
Le poids de ce que je m’impose, le fardeau que j’ai lesté
A mort le tyran !
Mais si je meurs avec lui…
Et souvent j’arrive à croire que c’est la seule issue
Alors je peins, j’écris, j’imagine, je pose mon regard sur un coquillage blanc et nacré,
Sur un filet de lumière qui danse, silencieusement

Et puis…

Je voudrais respirer la soie qui sépare les mondes
Poser mes paumes sur l’écorce du temps
Et célébrer mon être nu
Les pieds plantés dans la clairière sacrée

Exister
/ La plume /
J’aimerais venir comme une plume
Légère
Fragile, gracile
Qui, avec ce mouvement de va et vient 
Semble bercée par de grandes mains invisibles
Pour que nos êtres si douloureusement aux aguets
Puissent cesser de vouloir être parfaits
Et sourire enfin à leurs propres reflets
/ La tresse /
Douloureusement, obstinément
A chaque tournant
Je t’ai cherchée, appelée
Evitée
Je te sentais palpiter dans mes eaux
Raviver mes brûlures de femme
Le chant de tes espaces infinis
Subjuguait mon âme
Balayait de froid les couloirs
Dans tous les recoins de ma mémoire
Me laissant, pantelante,
Avec cette imperceptible senteur
De fraises des bois, de cep de vigne
D’enfance aperçue, entrevue
Petite et sauvage inconnue
Ta lourde tresse frappe toujours mon dos
Et ta course folle me coupe encore les jambes
Viens maintenant que je console
Tes yeux déjà graves
Esclaves
De cette obligation d’être sage
Qui a figé tous tes rêves de grand large
Viens que je prenne ton visage
Qu’ensemble nous inventions d’autres langages
Des musiques pour danser
Et puis des histoires pour s’envoler
Si nous pouvions seulement nous réconcilier
Il y aurait peut-être d’autres mondes à visiter
Et du bonheur à récolter
/ Le masque /
Sous ton masque, je t’ai vue
Visage de papier, mes yeux vont te brûler
Mon rire va te déchirer
Articule ta pensée qu’elle puisse encore danser
Console ton cœur qu’il puisse à nouveau chanter
Ouvre grand tes plus intimes chambres que je puisse entrer
Tout balayer, raviver, éclairer
Il n’est jamais trop tard pour exister
/ Noël /
Ma mère est morte à la guerre
Mon père devant la cuisinière
Ma sœur en jouant du hockey
Mon frère en agitant un hochet
Et moi, je suis encore là toujours là
Je ne partirai pas
Le souper est déjà froid
Mes souliers sont encore mouillés de la longue marche que je n’ai pas terminée
Je me suis arrêtée en route et je me suis retournée pour compter tous ceux qui sont morts, 
Tous ceux qui n'ont pas su prévoir leurs sorts
Ai-je su bien mener mes pieds, sans trop les enliser
Dans cette masse de cons, qui ne savent même pas leurs noms
Qui ne savent que dire :"Un whisky, une cigarette bien volontiers"
Et d'un sourire effronté regardent passer la servante empressée
Le café va fermer, il faut que je reparte
Il ne me reste que ce papier, il n'est même plus beau, il est chiffonné
Je dois aller à la rue Montmartre
Celui que j'aimais, je l'ai oublié
S'appelait-il Pierre, André ou Maté?
Je n'ai pu finir mon thé
II est parti le trolleybus
Aujourd'hui non plus je n'arriverai pas au terminus

(Poème écrit à 15 ans et lu devant la famille à Noël)
/ Ton désir /
Ton désir comme de petites aiguilles fines
A cousu sur ma peau des chemins d'ivresse
Et mon monde renversé
Comme une simple tasse de café
Que tu lapes de ta langue bleutée
S’épanouit d’un râle parfumé
Aux creux de tes paumes salées
/ Ton rire /
Ton rire comme un funambule
Se joue du vide qui te nargue
Il donne au noir de ta pupille
Un velours si mutin
Qu’il habille les plus âpres regrets
D’indomptables lueurs
Débute alors dans l’arène ensanglantée
De tes profondes terreurs
Un carnaval endiablé
Où les anges aiment à jouer
/ Une rivière /
Un grand oiseau a frôlé ma joue de son aile
Et je me suis sentie comme un nouveau-né
J’ai ouvert les yeux, étonnée
Je voyais plusieurs mondes à la fois
A ma droite, des myriades de flocons de neige
Sans bruit, comme au ralenti
Déroulaient un rideau blanc, vibrant, éblouissant
A ma gauche, une allée de saules,
Alignés comme des soldats
Ressemblaient à des fantômes qui marchent
Pleurant de leurs longues branches un chagrin sans fin
Derrière moi, avec les coups de canons du tonnerre
Dans un ciel noir scarifiés d’éclairs
Des éclats de verre, sauvagement
Ont griffé mes rétines
Puis devant moi, une rivière…
/ Être libre /
Être libre de dire, d’articuler mes nuits
Et de danser mes jours en cercles infinis
Être libre de ces mots qui déchirent ma gorge
En les couchant dociles sur l’enclume de la forge
Être libre de lever haut et fort le marteau
Pour cogner encore et façonner le beau
Être libre d’affronter, de sculpter ma colère
Pour que jaillissent en gerbes tous les éclats de fer
Être libre d’entendre, d’accueillir le mystère
Et le silence avec, de laisser vibrer l’air
Être libre d’enflammer chaque parcelle de mon être
D’abord un feu de joie puis en cendres le paraître
Être libre de rire et de souffrir avec
Tous ces êtres de chair pour ne pas rester sec
Être libre de boire, d’absorber ton Amour
Non pour me perdre en toi mais pour vivre à mon tour
Être libre pour voir au-delà des couloirs
Des fenêtres ouvertes et des signes d’espoir
/ La danse /
Lacets de lumière, étoile tourbillonnante
De courbes lascives en jaillissements de puissance
Elle est rivière galopante et flamme dévorante
Elle est terre paisible et souffle qui s’élance
Animant nos êtres, distillant leur essence
Pour en faire un festin, un indicible ballet
Qui métamorphose nos absences en magiques palais
Elle est royale et sculpte le silence
Dessine la musique, elle s’appelle la danse
/ Dans les plis de ton âme /
Dans les plis de ton âme, un enfant joue avec la lune
Dessine chaque étoile au firmament de tes songes
Et dépose aux creux de tes paumes baignées de rosée
Le parfum des premiers matins du monde
/ La vague /
La vague des jours érode le superficiel,
Elle dissout les apparences, laisse à nu l’essentiel,
Et l’âme petit à petit se laisse entrevoir
Telle qu’elle est, le temps polit les miroirs…

Mieux vaut avoir fait le ménage
/ Les cailloux /
Ce matin je suis là, toujours là
Avec mon gramme de courage et ma tonne de fatigue
J’ai craché du sang dans l’évier
Il y avait comme des dents dans mon café
L’odeur du pain m’a donné la nausée
Et le vent m’a giflée quand je suis sortie pour respirer
Aujourd’hui encore je vais bouffer des cailloux
/ Les petits matins gris /
Dans les plis des petits matins gris
J’ai glissé ton rire pour qu’il chante quand je pleure
L’éclat de ton iris aussi
Qu’Il fendille mon ennui
Mette de la lumière dans ma coquille vide
Et quand mon souffle se meurt
Je tourne la tête et j’entends ta voix
Elle parle de petits riens qui picorent ma nuit
Et la trouent pour qu’enfin apparaissent les étoiles
/ Masculin-Féminin /
Tu es l’ivresse d’une chevauchée héroïque
Du vent de l’Est qui ouvre la poitrine
De l’ardeur qui hennit de joie
De la force tranquille qui maîtrise la peur
De l’espace qui grandit paisiblement
De l’orgasme qui arrose toute la terre

Tu es le temps qui respire à l’intérieur de la grotte
Ondulante globalité qui roule comme une pierre
Le mystère au goût jouissif du fruit mûr
La douce audace d’embrasser sans fin
La source intarissable qui refleurit les déserts
L’accueil aimant du premier pas toujours renouvelé

Ensemble, en moi, soyez réconciliés
/ Rencontre /
J’ai saisi au vol
L’étincelle de ton regard
Et les pans de mon rêve ont frôlé le tien
J’ai frissonné à la blancheur de ton front
Comme une aile poudrée d’étoiles
Se penchant à ma bouche
Et le silence des innombrables voûtes
S’est drapé d’une clarté unique
Pour embrasser nos âmes étonnées,
Nues de s’être rencontrées
/ Doucement /
Dans le secret de mon cœur
Dans le ciel de mon âme 
Silencieusement, courageusement, consciencieusement
J’apprends à danser

A rire aussi de mes tentatives maladroites
A apprendre de mes chutes répétées

Mais j’ai besoin de ton souffle
Contre ma joue, au creux de mes reins
Lorsqu’à nouveau je traverse le brasier
Car sans cette légèreté, ce frôlement de l’ange
Le poids du chagrin m’écrasera
Ma poitrine se fendra
Doucement mes ailes se déploient…

Et si vous me voyez ramper lorsque mon corps se brise
En vérité moi je m’élance et je vole dans l’éther
Soulevée et portée par les vents de mon imaginaire

J’ai goûté au sel de tes profondeurs
Et je suis devenue sirène
/ Tout est là /
Un grand rire dévalant la colline a dénoué mes liens
Sans hésiter, il a dissout la meute des chiens
Aujourd’hui, que je sois dans la nuit
Le jour est à ma porte
Que je maudisse la vie
Des voix amies m’emportent
Que je me sente desséchée, inutile 
De mes mains des fleuves jaillissent
Que le temps décapite mon envol 
Que ma sève soudain se tarisse
Un vent chaud monte de la terre 
Et derrière mes yeux des cathédrales surgissent
Que je me sente abandonnée
Une main quelque part vient me saluer
Que je ne me sente plus personne
En moi le chant du monde résonne
Que je le voie ou ne le voie pas
Au fond de mon cœur tout est là